Sur le vif !

Avant d’être un poète, sois avant tout un bon lecteur !

Dans une vieille pochette cartonnée,
une simple feuille de papier
un peu jaunie par les années,
semble avoir été oubliée ;
noter aussi que sont apparues 
quelques taches,
des empreintes du temps
déposées par endroit
d'une manière sournoise ;
toutefois le texte imprimé 
reste visible à l’œil nu,
un poème de jeunesse délaissé,
tapé à l'ordinateur en 1994,
dans un local d'un parti politique.

En le parcourant,
les souvenirs m'assaillent,
des réminiscences sont lâchées
un peu opaque, 
un peu diffuse,
un peu confuse,
cette page dactylographiée,
déchirée du côté gauche,
de tout son long,
provient d'un tapuscrit envoyé
à un poète,
plus âgé et plus qualifié que moi,
il gérait une rubrique littéraire
dans un magazine politique,
il y a déjà plus de vingt-huit ans.

Le flou de la mémoire 
se dissipe enfin,
le film de ma jeunesse
défile dans ma tête,
la couleur de la pellicule est passée 
mais les images sont nettes :
me revoir dévorer des yeux, 
les phrases de cette lettre
accompagnant le tapuscrit,
l'ensemble envoyé par le versificateur ;
ses mots sont choisis
pour m'expliquer
que le recueil est bon
pour la corbeille,
seule la strophe suivante 
peut être publiée :

Prendre ma vie
comme un vulgaire bout de papier
le déchi­rer en petits morceaux
et le cacher au fond d’une poche.

Pour une publication
au prochain numéro
de sa revue,
donner mon accord
avant de terminer 
sa missive par une suggestion,
dans le cas où la poésie deviendrait 
un compagnon de route :

Avant d'être un poète, sois avant tout un bon lecteur !

À dix-sept ans,
puisque révolté et insoumis, 
se comparer à Rimbaud 
dont le souffle de sa jeunesse
a embrasé ses poèmes ;
après la lecture de la lettre, 
ranger mes cahiers
aux contenus futiles
et reprendre ma place
d'adolescent, 
dans la masse bigarrée
de ma génération,
avec un livre en main.

Aujourd'hui sourdent
depuis mon imagination
des flots d'idées,
toute cette source d'inspiration
issue de mes lectures 
définit ma prose :
un ton,
un phrasé,
un style ;
si à travers les strophes,
le souffle fougueux de ma jeunesse 
s'est dissipé avec les années 
pour une sagesse de surface,
des mots enflammés de ma révolte 
subsistent encore et se consument 
dans certains vers.

Que pouvait représenter la poésie 
pour Rimbaud à quarante-six ans ?
plus qu'un lointain souvenir,
sa carcasse nécrosée 
se décomposait ici-bas
depuis neuf ans.
Poème de Jean-Michel Léglise – novembre 2019 / juin 2022

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