« Écrire en résidence », le documentaire de Jonathan Eckly
Quelle liberté de parole que de posséder son propre blog. Ainsi, je peux choisir la thématique que je souhaite mettre en avant aussi longtemps que je le veux sans rendre de comptes à qui que ce soit, si ce n’est qu’à moi ! Pour preuve. La littérature est devenu mon cheval de bataille, pour l’instant. En conséquence, vous avez pu lire mon papier sur La difficulté de l’écriture, puis celui concernant les Livres papier contre livres numériques. Eh bien, je ne pouvais pas finir cette trilogie de billets sans vous toucher un mot concernant un documentaire fort intéressant intitulé Écrire en résidence. Évidemment, vous l’aurez compris, le sujet concerne toujours la littérature !
D’emblée, je dois vous avouer que si je vais vous parler de ce film, c’est pour trois raisons : la première, la réalisation a été accomplie par Jonathan Eckly que je côtoie de façon personnelle et professionnelle depuis six ans. Mais pour celles et ceux qui me connaissent — et pour les autres, vous l’apprenez ici —, l’amitié n’est une raison valable pour que je valorise un travail qui ne m’intéresserait pas. Si Jonathan avait réalisé un documentaire à la patine et à l’ADN de Profils paysans, la trilogie de Raymond Depardon, croyez-moi, je n’aurais pas écrit une seule ligne. Faut dire que raconter un voyage cinématographique qui suit l’évolution de la vie agricole en moyenne montagne, c’est pas trop mon trip. Lui si. Il affectionne ce type de sujet. La deuxième, le documentaire a pour thème la littérature mais avec un angle original : l’étude scientifique menée par une équipe de sept enseignants-chercheurs et des étudiants en master de l’université de Lorraine et de Liège. La troisième raison et la dernière, c’est que le spectateur découvre l’univers de l’écriture par le biais des résidences d’auteurs où les écrivains, présents dans le film, apportent un éclairage sur leur travail sous la forme de témoignage. Et c’est relativement rare pour le souligner. Comme l’écrivait Marguerite Duras, [un écrivain] « ça ne parle pas beaucoup parce que c’est impossible de parler à quelqu’un d’un livre qu’on a écrit et surtout d’un livre qu’on est en train d’écrire. »
En début de sujet, la voix narrative nous explique que l’« étude de terrain menée vise à établir une expertise scientifique du concept de la résidence d’auteurs [entité hybride et méconnue du grand public], afin d’analyser la posture de l’écrivain dans un cadre culturel spécifique ». Le scientifisme à la rescousse de la littérature ? Pourquoi pas ! Il semblerait, selon Carole Bisenius-Penin, enseignante-chercheuse à l’Université de Lorraine et auteure du documentaire, qu’il n’y ait jusqu’à présent en France ou à l’étranger, aucune recherche — de fond — universitaire qui ait été menée ou publiée sur le concept des résidences d’écrivains. De même, le sujet va tenter de dresser un état des lieux mais aussi une cartographie des lieux de résidences — sept au total — sur le territoire de la grande région : Lorraine, Luxembourg, Allemagne et Belgique. Aussi, « faute d’un cadre réglementaire ou d’un statut, d’une définition établie, la résidence d’auteur est de nature polymorphe, marquée par une grande hétérogénéité (résidence individuelle/collective, pérenne/éphémère, fixe/itinérante…) ». L’enquête ainsi présentée permet la compréhension intellectuelle de la nécessité d’un tel dispositif avec une trinité fondamentale : l’écrivain — pour la création littéraire —, les médiations culturelles — lieu où les auteurs résident — et les institutions — pour leurs aides financières.
Contrairement aux autres arts culturels, la création littéraire et la place des auteurs contemporains ont longtemps été négligées par les politiques publiques. Sur le territoire français, il n’existe que 94 résidences d’auteur. Aujourd’hui, la présence de subventions étatiques ou émanant des collectivités territoriales dans le budget des théâtres, des salles de musique, des bibliothèques, des festivals ou des compagnies théâtrales (la liste n’étant pas exhaustive, qu’on se le dise) ne choque personne — du moins pour ceux qui considèrent la culture comme un élément fondamental de notre civilisation. Mais pour l’écrivain ? Qu’existe-t-il pour favoriser sa créativité ? Concrètement ? Arrêtons les clichés stéréotypes de l’écrivain suicidaire ou du poète maudit, mélancolique, fauché, crevant la dalle, qui a eu une enfance malheureuse, et j’en passe, pour écrire l’Œuvre, digne de ce nom, pour une postérité ad vitam æternam et l’entrée dans le Panthéon de la littérature française. Ou a contrario, le protagoniste de la haute, moyenne ou petite bourgeoisie, n’ayant connu que le bonheur dans sa vie, qui rédige sans un seul souci l’Œuvre de sa vie. Et je conclus avec l’auteur qui aura le succès et les retombées financières escomptées post-mortem. Également au pilon, ces images d’Épinal bucoliques de l’écrivain attablé seul à son bureau, tôt le matin, qui réfléchit, le stylo plume à la main, sur ce qu’il va calligraphier comme texte. NON, arrêtons de rêver ! L’écrivain a, dans la majorité des cas, un travail alimentaire afin qu’il puisse continuer de persévérer dans l’écriture. Pour résumer, la littérature est un art qui ne se voit qu’à la fin du processus de création avec la publication du livre ; en amont, cela reste dans le domaine de l’invisibilité, de l’impalpable, de l’intrigue et du mystère.
Il ne faut pas considérer, de facto, la résidence d’écrivain subventionnée par les collectivités territoriales comme un moyen de censure ou de pressions intellectuelles sur le travail de l’auteur. Au contraire, cela permet aux intéressés de bénéficier d’un outil pour la création et de rendre visible le processus littéraire auprès du grand public avec notamment des soirées de lectures ou des ateliers didactiques auprès d’écoles. Écrire librement et sans contrainte financière — et sans que l’auteur ait à justifier un rendement ou un résultat à court terme — est une aubaine. Maîtriser l’intégralité de son amplitude horaire de travail — définie par avance — pour n’avoir que pour seule tâche l’écriture et la réalisation d’un ouvrage, sans contrainte contingente du quotidien, est un luxe fabuleux. Fabienne Jacob, auteure française, l’explique très bien dans le documentaire : « Je peux le mesurer [le temps]. J’écris en un mois ce que j’écris chez moi en huit mois ». Le dispositif de la résidence d’écrivain favorise-t-il la création ? Je dirais oui ! L’influence-t-elle ? Sûrement ! D’ailleurs, Amélie Nothomb dans l’introduction d’Écrire en résidence résume parfaitement le sujet : « Les conditions mêmes de la résidence d’écrivains sont finalement des conditions très luxueuses, on ne doit pas se soucier de sa vie matérielle, on est logés, nourris et blanchis influe forcément sur une écriture ».
Si Écrire en résidence demeure une étude scientifique et universitaire, non pas destinée au grand public mais davantage aux initiés, néanmoins, la construction narrative du documentaire et les séquences choisies permettent aux spectateurs de s’immerger dans l’environnement des auteurs publiés. Avec parcimonie et avec une certaine pudeur apparente, les écrivains interviewés se confient face à la caméra. En partageant quelques réflexions et avis sur le concept de la résidence d’auteurs, les protagonistes doivent se dévoiler, tels qu’ils sont, dépouillés de leurs personnages et de leurs univers romanesques. Leurs propos relatifs à leurs modes de fonctionnement, de la pratique de l’écriture, demeurent mesurés, réfléchis et mystérieux. L’écrivain parle peu. Inutile de raconter des banalités surtout lorsque cela concerne son travail. Converser sur son livre, oui bien sûr ! En savoir davantage sur lui, alors la pudicité devient visible. Comment peut-il expliquer l’inaccessible au public ? Comment veut-il partager des émotions personnelles avec des inconnus ? Comment comprendre les pensées obscures et insondables d’un auteur quand on ne l’est pas ? Écrire ne s’apparente pas à une recette de cuisine qu’il suffirait de suivre à la lettre pour rédiger un tapuscrit avec, à la clef, notoriété et richesse. La méthode éprouvée serait familière à tous. Non, dans le documentaire, face aux spectateurs anonymes et invisibles, il n’a pas le choix, celui-ci se livre sous la forme d’une introspection : une manœuvre périlleuse pour certains, un exercice plus facile pour d’autres. Dans tous les cas, l’écrivain est mis à nu et à contribution pour le plaisir des spectateur.
Projection et table ronde :
Le documentaire sera projeté le jeudi 21 avril 2016, à 17 h 30, à l’auditorium de l’École Supérieure d’Art de Lorraine à Metz, dans le cadre du Festival Le Livre à Metz. Il sera suivi d’un échange que j’animerai entre le public et l’équipe du film. Lieu de projection : École Supérieure d’Art de Lorraine – 1, rue de la Citadelle, 57000 Metz.
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Écrire en résidence est en compétition au Festival du Film de Chercheur qui se déroulera du 31 mai au 5 juin 2016 à Nancy.
Chercheur/auteur(s) : Carole Bisenius-Penin
Réalisateur(s) : Jonathan Eckly
Producteur(s) : Fabienne Granero-Gérard, directrice de production Université de Lorraine
2015 / France / 45 minutes
Photo : ©JML – capture d’écran du documentaire Écrire en résidence.