2016

Le bio, l’Eu­rope et les indus­triels

Si quelqu’un m’avait dit qu’un jour que j’écri­rais un billet sur le bio, l’Eu­rope et les indus­triels, parce que la cause me concer­ne­rait égale­ment, je crois que je me serais esclaffé devant lui. Le trai­tant, pour l’oc­ca­sion, de petit plai­san­tin tant ses propos seraient en total déca­lage avec les sujets abor­dés en géné­ral sur mon blog, sur les réseaux sociaux ou avec mes amis. Jamais, au grand jamais je ne rédi­ge­rai un papier sur le bio ! Pour­tant, pour ce cinquième billet, le thème exprimé sera bien le… bio, les insti­tu­tions euro­péennes et les indus­triels. (Comme quoi, il ne faut JAMAIS dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! Parfois, il faut la dégus­ter avec le sourire.) Atten­tion, je ne me reven­dique nulle­ment mili­tant-combat­tant ou disciple-prédi­ca­teur qui prêche­rait la bonne parole sous la forme de prosé­ly­tisme écolo­gique. Faut pas non plus pous­ser le bouchon trop loin. Voyez plutôt l’acte comme un coup gueule d’un citoyen qui utilise son blog pour expri­mer et reven­diquer ses idées. Une prise de conscience indi­vi­duelle complé­tée d’un discer­ne­ment intel­lec­tuel sur le sujet.

Pourquoi manger bio et sauve­gar­der l’en­vi­ron­ne­ment de ce qui pour­rait le détruire ? Une ques­tion perti­nente et telle­ment ingé­nue qui attend toujours une réponse dans laquelle se trou­ve­raient des solu­tions concrètes et effi­caces. Ma géné­ra­tion tente d’y répondre en chan­geant ses habi­tudes alimen­taires et la gestion de ses déchets depuis une quin­zaine d’an­nées. La suivante se préoc­cupe de sa santé et des éléments dans lesquels elle évolue depuis son plus jeune âge. C’est bien. Malheu­reu­se­ment pour nous, il est plus facile de main­te­nir ses mauvaises habi­tudes que de les chan­ger. Sans se faire l’avo­cat du diable pour ma géné­ra­tion ou celle de mes parents, je me rappelle toute­fois ces années quatre-vingt — vache, c’était… au siècle dernier —, où nous surcon­som­mions tous azimuts : denrées alimen­taires, vête­ments, élec­tro­mé­na­ger, hifi, culture. Un vent de liberté dans les sanc­tuaires érigés par les papes de la grande distri­bu­tion. Ô grand lieu du bien-être et du bonheur pour les fidèles, ces temples permet­tant de dépen­ser sans comp­ter — enfin, avec toute­fois l’aide de la carte de crédit — pour toute la famille. Que de beaux rayons multi­co­lores où s’ex­po­saient fruits et légumes appé­tis­sants et unifor­mi­sés. Pas un seul défaut et d’un cali­brage excep­tion­nel. Le rêve améri­cain à la française. Sauf qu’au niveau sani­taire, nous n’avions pas toutes les données scien­ti­fiques et le recul néces­saire pour nous aler­ter sur la noci­vité des aliments due à l’abus des engrais chimiques et des pesti­cides dans l’agri­cul­ture dite conven­tion­nelle. Sans omettre les cadences infer­nales de produc­tion dans les filières indus­trielles porcines, bovines ou avicoles à une certaine époque. Y avait-il une pandé­mie de la famine en Europe ? Non ! Juste des indus­triels qui, pour des raisons pécu­niaires avec notam­ment le profit — toujours lui — , hypo­thé­quaient sans vergogne notre santé. Évidem­ment, je faisais partie de ces jeunes — comme les adultes — qui durant ces dix ans se disaient avec une certaine crédu­lité candide : « Si le produit est vendu dans le maga­sin, c’est qu’il est bon pour la santé ! Je ne crains rien ! » Étant enfant à cette période, je ne saurais me rappe­ler s’il y avait eu une prise de conscience collec­tive sur la dange­ro­sité pour notre corps des sodas, des bonbons ou des aliments trans­for­més comme les plats prépa­rés. Aussi à titre person­nel, il m’aura fallu plusieurs années — disons des décen­nies pour que, d’une part, je me docu­mente sur le sujet, d’autre part, je comprenne et je réagisse en consé­quence et enfin, que je puisse chan­ger mon mode alimen­taire.

Alors mon coup de gueule est multiple. Ainsi, je trouve indé­cent de devoir débour­ser plus cher pour tout aliment bio qui demeure une nour­ri­ture de base néces­saire pour la survie de l’es­pèce humaine et animale et, a contra­rio, consi­dé­rer comme hors-la-loi toutes autres denrées alimen­taires polluées par les engrais chimiques et les pesti­cides. Exces­sifs mes propos ? Non ! d’uti­lité publique ! En effet, le bio est bien plus qu’un simple mode de consom­ma­tion. Il faut biffer d’un trait le rappro­che­ment simpliste entre l’éco­lo­gie et les années soixante-dix avec les babas cool et leur mode de vie « très proche de la nature ». Le bio, c’est aussi la démarche sociale et éthique d’ache­ter des produits locaux et de bien meilleure facture. Prenons au hasard les fraises. Pourquoi ache­ter celles d’Es­pagne à moindre coût mais sans aucune saveur alors que nous avons sur notre terri­toire le quatuor français : la Gari­guette, la Ciflo­rette, la Ronde et la Char­lotte ? Le prix est plus cher mais ces dernières sont bien meilleures puisque char­nues, sucrées et acidu­lées, elles ravissent les papilles. Privi­lé­gions alors le quali­ta­tif au quan­ti­ta­tif et aussi pendant qu’on y est… le bio ! Enfin, plus je me docu­mente sur le thème de l’agri­cul­ture biolo­gique, laquelle est une alter­na­tive aux systèmes agri­coles conven­tion­nels, et plus je découvre des articles ou des rapports qui expliquent, preuves à l’ap­pui, comment certains indus­triels phar­ma­ceu­tiques, agroa­li­men­taires ou chimiques, qui pratiquent une poli­tique commer­ciale agres­sive, polluent l’en­vi­ron­ne­ment et tentent d’ob­te­nir des mono­poles dans leurs secteurs d’ac­ti­vité. Comment admettre et caution­ner les mensonges ou les omis­sions aussi nombreux de ces prota­go­nistes quand l’en­semble des produits incri­mi­nés sont un danger pour la santé publique ?

Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux que je pratique la poli­tique de l’au­truche : ne rien voir, ne rien entendre et ne pas comprendre la situa­tion dans laquelle nous sommes car, fran­che­ment, il y a de quoi vous éner­ver ! Et pour conclure cette diatribe, il y a quelques semaines, j’ap­pre­nais par les médias que la Commis­sion euro­péenne souhai­tait modi­fier la régle­men­ta­tion du secteur biolo­gique pour auto­ri­ser la présence dans les produits bio d’une dose « accep­table » de pesti­cides de synthèse. Déjà que pour certains orga­nismes français spécia­li­sés dans la protec­tion des consom­ma­teurs, le cahier des charges du label euro­péen est moins contrai­gnant que le label français AB, mais si en plus, le Parle­ment euro­péen et sa Commis­sion agri­cul­ture veulent suppri­mer ces seuils contrai­gnants, il n’y a plus aucun inté­rêt à ache­ter Bio ! La certi­fi­ca­tion ne sert plus à rien !

À ce jour, au moment où j’écris ces lignes, la dernière régle­men­ta­tion du label bio de l’Union euro­péenne date de 2009 (n°834/2007). Sont toujours consi­dé­rés comme produits bio ceux qui contiennent au moins 95 % d’in­gré­dients bio et pas plus de 0,9 % de traces d’OGM. Les textes indiquent, entre autres, l’in­ter­dic­tion de facto des pesti­cides, des engrais de synthèse, des produits chimiques (conser­va­teurs, colo­rants, émul­si­fiants, arômes), l’ir­ra­dia­tion des aliments pour les conser­ver, l’hy­dro­po­nie, les OGM et déri­vés dans l’ali­men­ta­tion des animaux, l’uti­li­sa­tion d’hor­mones de crois­sance et d’acides aminés de synthèse dans les élevages, le clonage et le trans­fert d’em­bryons, la limi­ta­tion à titre cura­tif d’an­ti­bio­tiques chez les animaux, la mixité des cultures de mêmes varié­tés bio et celles qui ne le sont pas, etc. Qu’en sera-t-il de la nouvelle révi­sion des insti­tu­tions euro­péenne ? Que dois-je comprendre ? Que des lobbyistes à la solde de certains indus­triels, favo­rables à l’agri­cul­ture conven­tion­nelle et dépen­dant de leurs marchan­dises, et surtout favo­rables à un bio à la régle­men­ta­tion moins coer­ci­tive, négo­cient avec une classe poli­tique qui serait prête à sacri­fier, sur l’au­tel du profil, la santé publique et la protec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ? Si les parle­men­taires euro­péens amendent le prochain texte proposé, qui a pour voca­tion de proté­ger les consom­ma­teurs par la contrainte d’un cahier des charges rigou­reux auprès des agri­cul­teurs et de l’in­dus­trie agroa­li­men­taire, pour une baisse de la qualité des produits vendus, alors arrê­tons tout net l’agri­cul­ture biolo­gique « made in Europe » et reve­nons à des normes françaises qui semblaient bien plus strictes.

Par ailleurs, quelques orga­ni­sa­tions françaises dans le domaine de l’agri­cul­ture biolo­gique ont créé un label plus strict appelé Bio Cohé­rence qui reprend la régle­men­ta­tion anté­rieure à 2009. Donc si nous devons chan­ger nos habi­tudes alimen­taires — ce qui ne se réali­sera pas du jour au lende­main —, que les poli­tiques contri­buent eux aussi à la péda­go­gie et à l’en­sei­gne­ment pour le chan­ge­ment compor­te­men­tal par notam­ment une prise de conscience par la société civile. Espé­rons que les élus se préoc­cu­pe­ront davan­tage des valeurs huma­nistes pour l’Homme et pour son envi­ron­ne­ment — afin de léguer aux géné­ra­tions futures une planète respec­tueuse et non pas une décharge à ciel ouvert — que des inté­rêts pécu­niaires des indus­triels. Mais là, je ne me leurre pas. L’en­tre­prise sera fasti­dieuse à mettre en œuvre et surtout à être accep­tée par les fautifs. De toute façon, je ne crois pas en la nature humaine et si l’Homme devait être bon, nous le serions — nous sommes quand même les prin­ci­paux inté­res­sés. Le reproche qu’on peut me faire ? Je suis d’une nature pessi­miste. Eh bien, si je devais me trom­per, j’ai­me­rais bien que ce soit sur ce sujet-là et que la prise de conscience se géné­ra­lise. Même… pour les pollueurs ! CQFD.


Photo :  ©Choren­gel | pixa­bay.com – le site de la photo­graphe : Choren­gel


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