En 2019

Avec les vinyles, je passe du fast liste­ning au slow liste­ning

Nom d’une pipe, je me souviens de la scène comme si elle avait eu lieu hier soir. Assis en tailleur sur le sol de ma chambre, je suis en train de me prendre la tête avec une brosse en fibre de carbone pour enle­ver toute la pous­sière se trou­vant sur la surface d’un 45 tours. Et je la passe une première fois dans le sens contraire de l’ai­guille d’une montre puis une seconde fois avec cette fois-ci, une rage percep­tible par la nervo­sité de mes gestes et la cris­pa­tion de mon visage. Il reste encore des parti­cules de pous­sière. Dépité, j’in­sère tout de même dans le mange-disque rougeâtre le vinyle et l’unique haut-parleur crache tout ce qu’il peut et tout ce qu’il a dans ses tripes. J’en­tends encore la mélo­die stri­dente avec en fond sonore, les craque­ments et les crépi­te­ments de la galette. J’en­rage ! Maniaque, je n’aime pas la pous­sière et encore moins l’im­per­fec­tion du son. Ce qui devait être un plai­sir pour les oreilles devient un vrai calvaire. Voilà donc mes premières expé­riences avec le vinyle.

   Un peu abrupt le souve­nir qu’il me reste de la fin de règne du vinyle dans les années quatre-vingt lorsque je n’étais qu’un adoles­cent. Effec­ti­ve­ment, je n’avais pas le maté­riel adapté pour évaluer la qualité de l’écoute de la galette noire. Mais de toute façon, il lais­sait sa place au Compact-Disc. On ne jurait plus que par lui. J’avoue que pour la qualité du son, quel bonheur de ne plus entendre ces foutus crépi­te­ments dus à la pous­sière. Mais le charme et la beauté de l’objet en main dispa­rais­saient défi­ni­ti­ve­ment. Le format unifor­misé du CD avec son étui en plas­tique n’était pas du tout attrayant. Quant à la mise en page graphique des pochettes en papier glacé, à l’in­té­rieur des étuis, le résul­tat fut souvent déce­vant alors que sur le 33 tours, bien plus grand par sa taille, nous pouvions être en face de vrais chefs-d’œuvre. Puis au début du XXIe siècle, la déma­té­ria­li­sa­tion de la matière est deve­nue à la mode. Terminé les disques optiques, vive les fichiers MP3 sur le disque dur de nos ordi­na­teurs. Main­te­nant, nous pouvons carré­ment écou­ter tous nos tubes en strea­ming.

   Alors non, je ne vais pas écrire la phrase que tout le monde redoute : « C’était mieux avant ! » Fran­che­ment non, aucune nostal­gie ! J’adore entendre tous les morceaux de mes groupes préfé­rés sur les plate­formes de strea­ming chez moi, dans la rue ou dans le métro et créer des play­lists de mon choix. Néan­moins, notre façon de consom­mer la musique a bien changé depuis deux décen­nies. Aujourd’­hui, nous zappons les titres de manière convul­sive. Moi le premier ! Nous ne prenons plus le temps d’écou­ter tranquille­ment un morceau. Non, nous l’in­gur­gi­tons sans le savou­rer, du vrai fast liste­ning ! Depuis peu, j’ai décidé de redé­cou­vrir le slow liste­ning en repre­nant de bonnes habi­tudes. Par exemple, je m’ac­corde des plages horaires pour la musique et je rema­té­ria­lise l’œuvre musi­cale par l’objet avec le vinyle.

   Pour être franc, je n’ima­gi­nais pas reve­nir à mon âge aux disques micro­sillons et pour­tant. Avec une bonne platine, un ampli et des haut-parleurs, je suis en train de me consti­tuer une viny­lo­thèque avec de sacrés bons vieux 33 tours. Certes, pour tous les groupes ou les artistes solos que j’af­fec­tionne et n’ayant jamais sorti d’al­bums vinyles, puisqu’ils n’étaient pas encore en acti­vité dans les années quatre-vingt, j’achète des galettes neuves. Itou pour les albums actuel­le­ment en bac. En revanche, pour ceux pres­sés pendant la seconde moitié du XXe siècle, je privi­lé­gie les 33 tours d’époque plutôt que les réédi­tions actuelles car tu peux avoir entre les mains un objet qui a peut-être trente, quarante ou cinquante ans d’exis­tence. D’autre part, tu as tout un céré­mo­nial à respec­ter pour méri­ter l’écoute de tes chan­sons : allu­mer la platine, poser le disque, placer déli­ca­te­ment le bras pour que le diamant rencontre les premiers sillons. Et ensuite, tu appré­cies la sono­rité chaude de la mélo­die sortant des haut-parleurs avec ce léger crépi­te­ment ou ce petit craque­ment prove­nant du vinyle (pas trop non plus !). Ainsi, tu prends le temps d’écou­ter un disque en entier sans chan­ger de pistes toutes les dix secondes. Oui, tu te poses et tu en profites pour créer ta bulle. Savoure la vie !

   Au fait, qui était le mec qui maugréait contre la pous­sière, la brosse en fibre de carbone, les disques vinyles et les imper­fec­tions de sono­rité ?

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