En 2019

Oh là là ! Moi, je dis ça, je dis rien !

Week-end fati­guant, week-end érein­tant mais quel week-end enivrant ! Durant quatre jours, le Salon du livre de Paris battait son plein à la Porte de Versailles et pour la première fois, je n’y allais pas comme un simple visi­teur mais comme un auteur. Si la séance de dédi­cace du jeune auteur méconnu du public est une pratique néces­saire dans les salons ou les librai­ries, pour toucher un lecto­rat encore inexis­tant, je ne suis pas à l’aise avec cet exer­cice. Toute­fois, je tente toujours une première approche parfois gauche, parfois maladroite, en faisant risette (sourire vendeur du commer­cial aux dents blanches essayant de four­guer sa marchan­dise) afin de convaincre de poten­tiels lecteurs d’ache­ter mon livre. Avec ce mouve­ment de la bouche, je l’ac­com­pagne d’un petit bonjour sympa­thique et mélo­dieux que parfois le badaud fait mine de ne pas entendre tout en accé­lé­rant le pas pour m’évi­ter. Ou me contour­ner en regar­dant ailleurs. Eh oui, le livre est une marchan­dise cultu­relle et cela depuis le XIXe siècle.

   Bien sûr que c’est grisant d’ap­po­ser sa signa­ture à la fin d’une dédi­cace pour un lecteur et que l’acte en lui-même est exal­tant ! Mais que d’ef­forts pour y parve­nir en tant que jeune auteur. Comme un enfant, je jalouse le jouet que je ne possède pas. Et je regarde d’un air envieux les séances de dédi­cace d’Amé­lie Nothomb ou de Bernard Werber, entre autres – premiers noms surgis de mon esprit mais il n’y a pas qu’eux, heureu­se­ment –, où de longues files d’at­tente de lecteurs patientent reli­gieu­se­ment, livre en main, devant l’au­tel de leur divi­nité lettrée. Le rêve pour un auteur ! Une réelle consé­cra­tion et une déli­cieuse jouis­sance intel­lec­tuelle. Moi, je trépigne des pieds en criant : « Et pourquoi pas moi ? » 

   Alors, une petite voix (vous savez celle un peu éner­vante et mora­li­sa­trice, prove­nant toujours d’un côté ou de l’autre de l’es­prit) vient me susur­rer à l’oreille : « Tu penses réel­le­ment déchaî­ner les foules avec ton recueil de haïku ? Oh ! Eh ! Aie cinq minutes les pieds sur terre ! » Du coup, j’ins­pire et j’ex­pire un bon coup… et je rede­viens prag­ma­tique derrière ma table où deux piles de mon ouvrage attendent des acqué­reurs. Après moult réflexions, j’ad­mets une chose : pour conqué­rir les médias pari­siens et donc toucher le grand public, je dois propo­ser autre chose qu’un recueil de poèmes chez un petit éditeur de province. Déjà que la poésie et le théâtre ne repré­sentent que de 0,2 à 0,4 % du marché du livre en France, et ne touchent qu’un pour cent du lecto­rat français, alors la foule ne va pas se ruer devant ma table, même à Paris, en hurlant mon prénom et le titre de mon ouvrage.

   En me lisant, vous aurez l’im­pres­sion que j’ai la critique facile mais ne vous mépre­nez pas. Je ne fais nulle­ment la fine bouche et mes propos ne sont pas péjo­ra­tifs lorsque j’écris « (…) je dois propo­ser autre chose qu’un recueil de poèmes chez un petit éditeur de province ». Sachez qu’il vaut mieux être chez un petit éditeur de province misant sur votre talent et vous lais­sant le temps néces­saire à la créa­tion plutôt qu’ef­fec­tuer de l’au­toé­di­tion à vos frais, et par dépit, car aucune maison d’édi­tions pari­sienne ne veut de vous. 

   Pourquoi ? D’une part, vous aurez l’avis aguerri et profes­sion­nel d’une tierce personne prenant le temps de lire votre tapus­crit. D’autre part, vous n’au­rez pas à sortir votre porte­feuille pour payer la mise en page, l’im­pres­sion, la diffu­sion et la distri­bu­tion car c’est lui qui pren­dra tout en charge ainsi que les risques et non vous. Enfin, méfiez-vous de l’ap­pré­cia­tion des proches toujours admi­ra­tifs de vos œuvres (sinon chan­gez d’amis et/ou de famille ou sinon arrê­tez d’écrire !) récon­for­tant votre avidité de publier votre œuvre par vos propres soins.

   Accom­pa­gné de votre éditeur, peut-être péné­tre­rez-vous enfin dans la demeure de la grande litté­ra­ture française ? Certes, non pas par la grande porte mais par la petite porte qui n’est pas si vilaine en la regar­dant de plus près. En fina­lité, ce qui compte, c’est d’y entrer non ? Et puis si vous êtes chez Galli­mard, Flam­ma­rion ou Albin Michel et consorts et que vous m’aper­ce­vez assis derrière une table sur laquelle s’en­tassent quelques exem­plaires d’un livre bleu, eh bien n’hé­si­tez pas à m’en ache­ter un !  Il y en aura toujours un pour vous et mon stylo sera prêt pour la dédi­cace ! 

   Oh là là ! Moi, je dis ça, je dis rien !

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