En janvier, il y a deux sujets qui atteignent l’apogée de mon exaspération. Le premier est assez sociétal et comportemental, les vœux pour la nouvelle année. Le second est plutôt personnel, cela concerne mon anniversaire. Alors, pendant que les convives se font la bise pour se souhaiter la bonne année – en affichant sur le visage ce petit sourire surjoué et hypocrite pour la circonstance –, eh bien moi je râle bien fort d’une voix inaudible dans ma tête. Imaginez la situation dans laquelle je me trouve. À peine aurais-je le temps de terminer la digestion du repas de la Saint Sylvestre et de me désenivrer des alcools de la soirée qu’une année de plus se posera sur mes épaules. J’en ai déjà un certain nombre, alors cela commence à peser sur ma carcasse.
Heureusement pour moi, le destin a été indulgent en m’évitant de naître le 1er janvier. Sinon après les douze coups de minuit, et après les sempiternels vœux de santé, de bonheur et d’amour pour la nouvelle année, j’aurais dû accepter sans broncher les nombreuses formules de félicitations d’anniversaire des convives ivres. Subir leur haleine chargée. Remercier celui que je ne connais pas (un ami d’un ami étant l’ami de mon ami, bref un inconnu en somme). Non sur ce coup, j’ai eu de la chance. J’ai pointé le bout de mon nez vingt-neuf heures et trente-cinq minutes plus tard.
Toutefois, les premiers jours de janvier me procurent deux avantages de circonstance qui me sont assez favorables. La première, concerne les dépenses pour mon repas d’anniversaire en alcool et en victuailles. Il n’y en a peu voire pas du tout. Si je parle de nourriture, tout le monde se sent nauséeux après les excès des deux réveillons passés. Chacun désirant laisser pendant quelque temps son foie se reposer. Et ce n’est pas mon portefeuille qui s’en plaindra. La seconde, quitte à chiffrer mon âge — acte inéluctable —, je préfère que cela se passe juste après le passage de la nouvelle année (avec la migraine du réveillon en plus). De cette façon, mon esprit accepte un ensemble d’événements qui me sont désagréables et il n’aura plus à les aborder pour le reste de l’année.
Le deuxième sujet que j’aborde dans cette chronique me hérisse fort bien le poil : les vœux de bonne année. Avec franchise (cela restera entre nous), cela ne vous fatigue pas d’en recevoir ? Allez soyez honnête ! À combien de personnes expédiez-vous ce type de message alors que vous n’avez aucune nouvelle de certaines d’entre elles depuis les onze précédents mois ? Et que vous n’en aurez pas davantage les onze suivants ? Sans oublier celles et ceux qui n’ont pas votre numéro de téléphone dans leur répertoire téléphonique, (vous si, mais on ne vous demandera pas pourquoi) et qui vous répondent plutôt un « T’es qui ? » au lieu du traditionnel message « Je te souhaite une bonne année ». Et tout cela exécuté dans la précipitation et en masse (courriels et SMS groupés) afin de se débarrasser de la corvée.
Souvenez-vous (je parle pour les plus de vingt ans, désolé la génération Z…) de cette époque où nous disions nos vœux exclusivement de VIVE VOIX pendant le réveillon. De cette époque où nous appelions nos proches et nos amis avec le TÉLÉPHONE FIXE le jour de l’an. De cette époque où nous envoyions des cartes de vœux par VOIE POSTALE au reste de la famille voire aux connaissances. (Cela permettait aussi de se rappeler des personnes qui avaient cassé leur pipe durant l’année par le nombre de cartes restantes à rédiger.) À partir de l’an deux mille, la manière de présenter nos vœux a bien changé. Au début de l’ère du téléphone mobile, dès les douze coups de minuit et le claquage de bises, un grand nombre d’individus se vissait à leur téléphone pour tenter d’appeler leurs amis ou les membres de leur famille. Conséquence, ils saturaient le réseau. Ils oubliaient de facto les invités présents au réveillon de la Saint Sylvestre ne possédant pas de mobile. Ensuite, ils sont passés aux SMS et aux MMS. Évidemment, personne n’avait changé ses habitudes de malotru… minuit passé, chacun rédigeait frénétiquement son message pour l’envoyer illico. Être le premier expéditeur à 0 h 01. Mais le réseau fut également saturé les premières années. Maintenant, pour les plus malins (et peut-être à cause des deux grammes d’alcool dans chaque poche, pas facile de pianoter sur les touches de son smartphone en étant soûl), les SMS sont programmés la veille pour être envoyés à l’heure désirée.
Néanmoins depuis quelques années, le procédé a changé ! La tendance est de présenter ses vœux sur les réseaux sociaux. Facebook, Instagram et j’en passe car je ne connais pas les autres — trop nombreux ou alors je deviens trop vieux pour suivre l’évolution grotesque de ce monde virtuel. Maintenant, on se contrefiche du message personnalisé pour chacun qui prend du temps ; maintenant on pratique le message de masse plus facile et plus rapide à rédiger. Le procédé se rode : Soit tu es AMI avec la personne et tu lis son message publié sur son mur, soit tu ne l’es pas et tu n’es pas au courant de son mot. Et si toutefois tu es AMI avec lui et que tu ne vois pas défiler ce satané message, eh bien alors c’est que tu ne mérites pas d’être AMI avec lui ! Capiscé ? Tu n’avais qu’à être plus assidu à parcourir ton fichu mur d’actualité Facebook ou Instagram au lieu d’attendre un éventuel SMS sur ton smartphone. Pernicieuse est l’idée de diffuser ses vœux sur les réseaux sociaux ! N’est-ce pas ? De plus, nous avons tout le mois de janvier pour les présenter. Nous allons encore nous en manger quelques-uns.
Eh bien moi, pour m’éviter d’envoyer des SMS ou des courriels, je rédige les miens ici. Aussi, je vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année, qu’elle apporte à votre famille et à vous-même, la santé, le bonheur et la prospérité. Quoi ? Vous ne pensiez pas que j’allais diffuser mes vœux pour la nouvelle année sur mon blog ? Eh bien vous voyez, je deviens feignant avec l’âge.