La Plume Culturelle

Une chienne de vie selon René Taesch

L’ou­vrage de René Taesch raconte une triste vie semée de peines, de péri­pé­ties et de méchants coups du sort. Mais  son auteur ne manque ni d’éner­gie ni de courage pour se sortir de son chaos. Un livre poignant et authen­tique sans arti­fice, à mettre entre toutes les mains !

339 pages où l’au­teur, René Taesch, raconte sans fard sa vie chao­tique, dans laquelle ses proches l’ac­com­pagnent malgré eux. Témoins ou acteurs, ils parti­cipent à la mise en place du scéna­rio d’une tragé­die humaine qui commen­cera dès la nais­sance du narra­teur, troi­sième moutard d’une famille de dix enfants, dont deux vont mourir en bas âge. L’œuvre se situe dans la commune de Petite-Rosselle, en Moselle, dans la « sili­cose vallée », vers les années cinquante. « Ici, on parle le platt. Ici, ce sont les Houillères du bassin de Lorraine qui nous nour­rissent, nous chauffent, nous éclairent, nous instruisent, nous paient les médi­ca­ments quand on est malade et le corbillard quand la sili­cose se pointe ».

Issu d’une famille très pauvre, le petit René est livré à lui-même et parti­cipe avec ses deux frères aînés, Ruddy et Clau­die, aux quatre cents coups qui vont le mener cres­cendo vers la petite délinquance et plus tard à l’écla­te­ment de la cellule fami­liale par la DDASS. « Mon père travaillait énor­mé­ment à la mine et ma mère essayait tant bien que mal de nous éduquer. Mais comme mon père n’était pas souvent là, sauf pour nous donner des correc­tions, j’ai enchaîné l’école buis­son­nière, puis les petits vols et enfin les cambrio­lages à 10 ans », recon­naît l’au­teur. Aussi, lorsqu’il sera placé dans une première famille d’ac­cueil, René va déchan­ter. Exploité sans vergogne, travaillant avant et après la classe dans cette ferme fami­liale tenue par de vrais Thénar­dier, il reçoit chaque jour son lot de coups de cein­ture entre l’étable et le fumier « Pas besoin d’oi­gnon pour pleu­rer chez les Crom­ber » peut-on lire dans l’un des chapitres de son livre.

A l’ado­les­cence, il découvre des plai­sirs person­nels qu’il dévoile d’une façon abrupte ; sa liberté sexuelle, il la livre avec ses mots à lui, si simples et pour­tant si crus qu’ils ajoutent un parfum d’au­then­ti­cité à chaque époque de sa vie. Mariage raté, et une enfant qu’il ne verra pas avant les trente ans de celle-ci. Quelques larcins, l’al­cool, drogues douces et commu­nau­tés hippie des années soixante-dix accom­pa­gne­ront un certain temps son quoti­dien. Puis viennent une période de six mois en prison pour ses petites bêtises, un autre mariage égale­ment contra­rié et gâché et des enfants qu’il verra peu et enfin… la boucle est bouclée,… la rue ! René Taesch ne manque pour­tant pas d’éner­gie et de projets dans sa besace pour s’en sortir mais cela n’em­pê­chera pas le bitume de l’ac­cueillir pendant un moment avec sa camion­nette sur le parking de la Porte des Alle­mands à Metz.

Ce qui sauve René Taesch, c’est la photo­gra­phie et la litté­ra­ture. Après le lycée, il se fait embau­cher pour un temps à la Compa­gnie Indus­trielle Méca­nique. Puis, avec sa première paye d’ou­vrier, en septembre 1968, il s’achète un appa­reil photo argen­tique avec lequel, bien des années plus tard, il immor­ta­li­sera ses amis de la rue. Doué, René Taesch travaille un temps comme pigiste photo­graphe pour Libé­ra­tion et Le Monde. En 1997, il rencontre Denis Robert, jour­na­liste et écri­vain et leur asso­cia­tion abou­tira à la fin de cette même année à la paru­tion d’un ouvrage poignant Portrait de groupe avant démo­li­tion où photos et textes des deux auteurs dépeignent la misère humaine dans la rue. « Quand mon premier ouvrage Portrait de groupe avant démo­li­tion a été publié, il y a onze ans, il était peu courant qu’un SDF sorte un ouvrage sur le sujet, alors qu’aujourd’­hui ce n’est plus inha­bi­tuel de déni­cher dans les rayons des librai­ries des témoi­gnages simi­laires », explique René Taesch.

En 2007, il fina­lise enfin son rêve : publier un livre commencé en 2000 mais qu’il n’a pas travaillé à temps plein. « Même si j’ai eu une scola­rité décou­sue, je me suis inté­ressé très tôt à la litté­ra­ture en lisant des ouvrages enga­gés mais égale­ment des romans et je souhai­tais écrire. Un vieux rêve que j’ai pu concré­ti­ser grâce à ce que j’ai vécu : j’avais de la matière ! », indique-t-il, sourire aux lèvres.

« Dans ce livre je n’ai pas tout dit de ma vie, des pans entiers de mon exis­tence attendent d’être trai­tés afin d’être publiés », explique l’au­teur qui souhaite expo­ser d’autres photos jamais présen­tées au public, même si cela doit se passer dans la rue. « Je suis un grand naïf, j’ai cru qu’en parta­geant avec les lecteurs ce que je consta­tais de la misère humaine, ça allait chan­ger un peu, que ça allait arrê­ter le massacre. En fait, de nos jours, c’est bien pire ! », renché­rit-il.

En aparté, René Taesch me confie : « c’est vers la fin des années soixante-dix que j’ai vécu dans la rue, donc il y a long­temps, mais pour les médias, qui aiment les clichés, je reste un SDF qui a écrit un livre ! ». Non René, tu es bien plus que cela : un artiste témoin d’une époque et de lieux peuplés de misé­reux que la société souhaite plutôt oublier.


Article publié le 5 juin 2008 dans le bimé­dia lorrain La Plume Cultu­relle.

Photo : © LPC|JML – René Taesch.


 

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