
Avant d’être un poète, il faut avant tout être un lecteur
Dans
une vieille pochette,
j’y trouve
une feuille volante
sur laquelle
un mauvais poème
a été rédigé
à la machine à écrire ;
quelques taches
jaunissantes
marquent le temps
d’une manière perfide.
En le relisant,
je me souviens
de la provenance
de cette feuille volante,
elle fut déchirée
du manuscrit
envoyé
à un poète plus âgé,
plus qualifié que moi ;
il gérait
voilà plus
de vingt-sept ans
une petite
rubrique littéraire
dans un magazine.
Je reçus une lettre
de sa part
avec le manuscrit
qui lui était
destiné ;
gentiment,
il m’expliqua
que tout était bon
à jeter à la corbeille
sauf une strophe :
« Prendre ma vie
comme un vulgaire bout de papier
le déchirer en petits morceaux
et le cacher au fond d’une poche. »
Si je souhaitais
sa publication
au prochain numéro,
je devais donner
mon accord,
m’informa-t-il
avant de terminer
sa lettre
par une
suggestion,
au cas où
je souhaitais
persévérer
dans
la production
de textes :
« Avant
de rédiger
des poèmes
pour des lecteurs,
il te faut avant tout
lire les œuvres
d’illustres poètes
de périodes artistiques
distinctes ;
alors,
peut-être,
je dis bien
peut-être,
aucune certitude
à cela,
tu auras
des dispositions
pour écrire
des poèmes
touchant
le cœur
des hommes. »
Comprendre :
Avant d’être
un poète,
sois
avant tout
un lecteur
et non
l’inverse.
À seize ans,
j’étais jeune,
beau et rebelle,
je me voyais
comme
un Rimbaud
dans toute sa puissance…
après la lecture
de la lettre,
je n’étais plus
qu’un simple
adolescent
sans talent.
Aujourd’hui,
à quarante-trois ans,
j’en écris des poèmes
mais je n’ai plus
la fougue de la jeunesse,
la beauté et l’âge
du poète rebelle,
Rimbaud.
À cet âge-là,
la poésie n’était
pour lui
qu’un souvenir
lointain ;
mais surtout,
cela faisait
déjà six ans
qu’il n’était
plus de ce monde.
Poème de Jean-Michel Léglise – novembre 2019