
Un bracelet brésilien coloré sur la cheville gauche
Les portes de la rame de métro
s’entrouvant à peine,
un flot compact de voyageurs
se déverse sur les quais
recherchant
l’air libre de la surface,
pour l’atteindre,
l’agglomérat d’humains
emprunte
au pas de charge
les escaliers et les escalators.
Les uns à peine échappés
du boyau métallique,
voilà que les autres s’y engouffrent
se bousculent, s’agitent,
espérant trouver une place,
pourtant réduite
voire inexistante,
dans les wagons
et les derniers se précipitent
encore avant que la sirène
ne retentisse
et que les portes automatisées
ne se referment :
ça fourmille de toute part
jusqu’à la dernière seconde.
Je parcours mon chemin
en suivant la file oppressante
d’automates hétéroclites
à quelques pas
de l’escalier principal
d’où le vent frais s’engouffre
et disperse les relents des égouts,
l’odeur d’urine
et les effluves
de parfums et de sueurs
de fin de journée,
j’en ai ma claque
de ces corps immondes
et de ces visages crispés,
je me sens broyé…
En montant les escaliers,
un peu sur ma droite,
à la hauteur de mes yeux,
j’admire
un bracelet brésilien coloré
sur la cheville gauche
d’un corps élancé,
c’est à cet instant précis,
que tout s’obscurcit
autour de moi
sauf…
ce bracelet brésilien coloré
sur cette cheville gauche
de ce corps élancé.
Je descends le regard
et je contemple ainsi
ces jolis pieds dévoilés
dans de petites sandales en cuir
arpentant ces escaliers gris,
j’ai envie de les caresser,
j’ai envie de les mordiller
et de les respirer…
je monte le regard plus haut,
et je crois distinguer
un étendard
flottant au vent
sous la forme délicate
d’une jupe rouge.
Elle grimpe les escaliers
avec vivacité
et je ne peux voir son visage,
au lieu de cela,
en lâchant ses effluves parfumés
mon esprit est pénétré
par tant de saveurs,
mes sens sont saisis…
Me voilà au contact
d’un bouquet de fleurs
en plein cœur de Paris.
J’aperçois une ombre
sous sa jupe rouge
et je comprends
que je distingue sa lingerie,
alors je souris
et je tente de la doubler
pour espérer
croiser son regard :
qu’elle me voit !
mais plus agile
que mon corps fatigué,
la jeune fille se faufile
dans la masse des hommes
et je perds de vue
ce bracelet brésilien coloré
sur cette cheville gauche
de ce corps élancé.
Enfin sur le trottoir,
je respire un bon coup
mais les arômes des fleurs
ont disparu et sans un visage,
ce corps élancé
restera pour toujours
l’inconnue
au bracelet brésilien coloré.
Poème de Jean-Michel Léglise – novembre 2019