
Elle et son petit cahier à spirale
Nul son
ne sort
de sa bouche ;
silencieuse,
elle écoute
les murmures
discrets
des clients attablés
dans le bar ;
elle observe
les ombres
ondoyant
sur les murs ocre
dans une ambiance
clair-obscur ;
personne
ne la remarque.
Sa table
est en face
de la mienne ;
elle me sourit
légèrement,
ses lèvres pincées
sont fines
et bougent à peine ;
ses yeux
mélancoliques
fixent mon regard
pendant que les enceintes
répandent Honeysuckle Rose
dans la salle ;
avec lenteur,
elle les baisse et
commence à rédiger une phrase
dans un petit cahier à spirale ;
j’observe le stylo à bille
parcourir
la page blanche et quadrillée
de son petit cahier à spirale.
Elle lève les yeux
vers le plafond
puis me fixe
de nouveau ;
hypnotique,
elle sourit vaguement
mais son expression
ne m’est pas destinée,
ni pour un autre d’ailleurs,
son esprit
semble parti,
mais son corps
reste immobile ;
elle est indifférente
à ce qui l’environne ;
me voilà
inexistant,
transparent ;
mais à quoi
peut-elle donc penser
au point de consigner
des mots
dans son petit cahier à spirale ?
Je la contemple ;
sa concentration,
son absorption
la rend encore
plus désirable.
Ses jambes croisées
dans son jean bleu
sont figées ;
seul le pied droit
s’agite
au rythme
de la chanson
de Django Reinhardt.
Je m’attarde
encore un peu
sur elle
avec un regard admiratif ;
jeune,
belle,
innocente ;
un fruit à peine mûr
que j’aimerais cueillir
pour
sentir sa chair,
goûter son jus
m’abandonner ;
mais
ressentir
comme
un coup de poignard
la maturité
de mon être,
et constater
à elle
la jeunesse
de son enveloppe
charnelle.
Elle rédige encore
de nombreuses phrases
dans son petit cahier à spirale ;
est-elle poète ?
est-elle nouvelliste ?
j’imagine
qu’elle a
un esprit libre,
un esprit rebelle,
qu’elle n’est autre
qu’une littéraire.
Le barman s’avance vers elle,
je n’entends que le son de sa voix
à lui répondre d’un air amusé :
— Quel est ton sujet pour cette semaine ?…
Oh ! La science pense-t-elle ? …
sacrée question…
Et bien demande donc
à Nietzsche !
rire entre les deux protagonistes
Ne pas comprendre
au final
ni leur blague,
ni leur rire ;
elle n’est
ni poète,
ni nouvelliste,
juste une étudiante
rédigeant dans un bar
des notes
pour sa prochaine dissertation
dans son petit cahier à spirale.
Poème de Jean-Michel Léglise – février 2020