En 2020

Auto­cen­sure, censure et asep­ti­sa­tion !

Pour vous dire la vérité, je ne savais pas comment abor­der le sujet de cette nouvelle chro­nique. Certes, il me trot­tait dans la tête mais j’avais à maintes reprises repoussé l’échéance car son thème m’exas­pé­rait depuis un moment. Devrais-je plutôt écri­re… m’inquié­tait depuis long­temps en tant qu’au­teur. En tant qu’ar­tiste libre. Néan­moins, je m’y suis mis le premier jour de l’été (n’y cher­chez pas un symbole, il n’y en a pas) pour expri­mer ce que je ressen­tais et j’ai écrit un premier jet. Ensuite, j’ai appliqué une première couche d’au­to­cen­sure sur mon texte quand tout à coup, une petite voix dans ma tête me hurla :
   — Mais oui Jean-Michel, vas-y auto­cen­sure toi ! Fais le travail des censeurs ! Alors que tu devrais plutôt lobo­to­mi­ser leur misé­rable cerveau ! Provoquer les adeptes de la pensée unique et du poli­tique­ment correct avec des thèses anti­con­for­mismes, voilà ce que tu devrais entre­prendre. Au lieu de cela, tu appliques du lissage intel­lec­tuel et de l’asep­ti­sa­tion cultu­relle. Tiens, lis-leur donc Améri­can Psycho (Et pourquoi pas !) pour que leurs poils se hérissent ! Quant aux mora­listes bigots frigides ? Dis-leur que ce ne sont que des petites filles coin­cées d’un autre temps ! N’ou­blie pas d’égra­ti­gner aussi les personnes bien-pensantes ! Tu verras quand elles se retrou­ve­ront en face de toi, toi muni de roubi­gnolles osant dire ce que tu penses, ça va leur faire tout drôle ! Dis-moi, tu ne les as pas oubliées dans le tiroir de ta table de chevet au moins ?

   Puis la voix s’est tue. Je ne l’ai plus entendu. Mais c’est la vôtre que j’ima­gine me dire en cet instant :
  — Eh bien Jean-Michel que t’ar­rive-t-il ? Un petit moment d’éga­re­ment ? Allez ce n’est pas bien grave, il te suffit d’ap­puyer sur la touche retour arrière et tu vas nous effa­cer tout le premier para­graphe ci-dessus. Tu verras, c’est aussi simple que ça ! Et puis ton dialogue, il n’est pas terrible !
   Après moult réflexions, je peux vous dire que c’est bon de se lâcher et de rédi­ger ce qu’on veut expri­mer sur le papier tel qu’on le pense réel­le­ment et sans pratiquer l’au­to­cen­sure. Terme d’ailleurs despo­tique puisqu’il remplace au final l’ac­tion de censure par une tierce personne. Pourquoi en suis-je venu à rédi­ger des propos stéréo­ty­pés avec des mots aussi viru­lents ? La lecture (en retard) de quelques maga­zines posés sur mon bureau prenant la pous­sière : Le Un n° 286, Faut-il puri­fier la culture ? Ou encore Char­lie Hebdo n° 1433, Nouvelles censu­res… Nouvelles dicta­tures. Les articles m’ont excédé. Je ne les ai pas termi­nés. Cerise sur le gâteau : j’ai parcouru quelques chro­niques et piges concer­nant les « sensi­ti­vity reader ». En bon français, des lecteurs en sensi­bi­lité que les maisons d’édi­tion améri­caines embauchent pour lire les tapus­crits des auteurs. Et que font-ils ces braves lecteurs censeurs ? Ils expurgent les textes de ce qu’ils consi­dèrent comme offen­sant ou choquant pour les mino­ri­tés sexuelles, ethniques, cultu­relles ou pour une partie de l’opi­nion. Objec­tif sous-jacent : éviter le débat, la réflexion ou la polé­mique car le livre n’est plus un objet artis­tique par lequel le lecteur se cultive en se diver­tis­sant. Aujourd’­hui, le livre est un simple produit commer­cial à l’ins­tar d’une boîte de conser­ve… alors il faut le rendre le plus neutre possible et sans aucune origi­na­lité. Pas de vague  mon ami !

   Bret Easton Ellis, invité dans l’émis­sion Le Temps des écri­vains par Chris­tophe Ono-dit-Biot, sur France Culture en mai 2019, avouait que son troi­sième livre, Améri­can Psycho, ne serait plus publié de nos jours car selon lui, « le sexisme, le racisme des person­nages ne seraient plus accep­tables ». Sidé­rant ! Je fus acca­blé par ce que je venais d’en­tendre. Je pensais que dans nos régimes démo­cra­tiques, l’écri­vain était libre d’ex­pri­mer par l’écri­ture le contenu de sa créa­tion sans se préoc­cu­per de l’édi­teur, des lecteurs ou des médias ? Un autre exemple que je voulais rele­ver : Il y a une nette diffé­rence entre un Gabriel Matz­neff, écri­vain français, racon­tant sa vie sexuelle avec des adoles­cent(e)s dans des ouvrages auto­bio­gra­phiques, les quali­fiant lui-même de jour­nal intime, et un roman­cier comme Vladi­mir Nabo­kov avec Lolita. Pour le premier, ses prota­go­nistes sont consti­tués de chair et de sang avec une exis­tence. Quant au second, les siens ne sont compo­sés que de papier et d’encre sortis tout droit de l’ima­gi­na­tion de son auteur. De même si mon person­nage est un sadique offi­cier nazi et qu’il profère des propos anti­sé­mites, sa parole est conforme à ses convic­tions tant que cela reste dans le cadre de l’his­toire. En revanche, les écrire dans un essai poli­tique ou dans un pamphlet, ce n’est plus la même chose. Le roman fiction­nel est une œuvre dont l’his­toire n’a jamais existé dans la réalité. Tout au plus, l’au­teur s’ins­pire d’un fait socié­tal, histo­rique, écono­mique, que sais-je encore, pour la rendre plus crédible. Dois-je aussi appliquer l’au­to­cen­sure ou admettre la censure sur mon tapus­crit ? Oh que non mon ami !

   Après la censure ou l’au­to­cen­sure pourquoi ne pas asep­ti­ser les œuvres des auteurs du milieu du XXe siècle ? Les rendre plus accep­tables pour la ligne de la bien-pensance actuelle. Par exemple, ne faudrait-il pas dans les romans la Chute et la Peste d’Al­bert Camus rempla­cer le mot « nègre » (Un terme utilisé dans le dialogue de deux prota­go­nistes) par « habi­tant de l’Afrique subsa­ha­rienne » ? Où devrions-nous appo­ser sur la couver­ture de ces livres une  mention expli­ca­tive : « Ceci est une repré­sen­ta­tion cultu­relle datée du XXe siècle avec des expres­sions qui peuvent choquer le public non averti » ? L’éga­re­ment peut aller loin dans l’ab­sur­dité intel­lec­tuelle. L’ou­vrage rédigé par l’au­teur est une trace écrite. Une sorte d’image à l’ar­rêt d’une époque révo­lue où les mœurs et les idéaux diver­geaient des nôtres. Dans ces condi­tions, devons-nous mettre au pilon ces ouvrages car n’étant plus conformes à la pensée du XXIe siècle ou pour effa­cer les traces des erreurs du passé ? Non mon ami, cela ne chan­gera pas l’ave­nir !

   Alors arrê­tons de vouloir censu­rer à tout va et sachez qu’en tant que poète, je ne lais­se­rai pas un quel­conque diktat m’im­po­ser la manière dont je dois penser ou créer et encore moins me lais­ser m’ap­pliquer de l’au­to­cen­sure. Tout est dit mon ami !

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